La guerre contre les migrants donne à entendre le bruit des bottes
Devant l'échec annoncé de la réforme de la procédure du règlement de Dublin, Theo Francken observe justement que c'est l'avenir de l'Union européenne lui-même qui est menacé par l'incapacité des gouvernements à s'entendre sur une politique commune d'asile et d'immigration. Mais comme toujours, la seule solution qui prévaut est celle de la fuite en avant, et la fermeture des frontières reste le seul horizon politique en vue.
Les déclarations du Secrétaire d'Etat à l'Asile et aux Migrations franchissent, logiquement, un degré supplémentaire dans l'outrance, puisqu'il faudrait à présent 'trouver une manière de contourner l'article 3 de la Convention européenne des Droits de l'homme', celui qui protège contre la torture et les traitements inhumains, pour renvoyer à la mer les bateaux de ceux qui essaient désespérément d'échapper aux atrocités qu'ils subissent en Libye.
Peu importe que le principe de non-refoulement des demandeurs d'asile soit une pierre angulaire de la Convention de Genève. Peu importe que le nombre des traversées soit trois fois moins important en 2018 qu'il ne l'était en 2017. Peu importe, surtout, que 785 d'entre eux se soient déjà noyés en Méditerranée cette année. Et peu importe que 40 000 migrants, au bas mot, aient déjà perdu la vie en tentant d'atteindre l'Europe depuis 1990.
Ces nouvelles déclarations surviennent alors que douze personnes qui avaient hébergé des migrants sont poursuivies pour 'trafic d'êtres humains'. Pour la première fois en Belgique, l'expression de la solidarité est assimilée à une activité criminelle. Quelle que soit l'issue du procès, il s'agit d'une nouvelle tentative d'intimidation de ceux qui viennent en aide aux migrants, que le gouvernement voit désormais comme des ennemis à combattre.
Ce procès indigne fait lui-même suite aux menaces proférées par Theo Francken contre les recteurs de toutes les universités du pays, ainsi qu'aux déclarations de Bart De Wever, qui font porter à ses parents endeuillés la responsabilité de la mort de la petite Mawda.
Toutes ces déclarations, menaces et intimidations ne sont simplement des dérapages à recadrer, ou des excès à tempérer : elles s'inscrivent dans le cadre d'une même stratégie, qui vise à installer dans notre pays un régime autoritaire sur le dos des migrants. Dans cette stratégie, conventions internationales de protection des droits de l'Homme et principes fondateurs des démocraties, comme la liberté académique, sont traités à la même enseigne : ce sont des obstacles à contourner ou à éliminer, au motif qu'il n'y aurait pas d'alternative.
Les régimes autoritaires ne sont pas seulement populaires en Turquie ou aux Etats-Unis : les études[1] montrent qu'une partie importante de la population, en Europe et aux Etats-Unis, et surtout chez les jeunes, est prête à accepter un régime autoritaire, et même à souhaiter un tel régime. La N-VA a donc parfaitement compris le profit électoral qu'elle pouvait tirer en apparaissant comme un parti autoritaire, prêt à intimider et à menacer tous ceux qui s'opposent à sa politique. Ce n'est pas une suite de dérapages, ou des excès de communication : c'est une stratégie délibérée.
Et la N-VA a également parfaitement compris aussi que la guerre qu'elle menait aux migrants et aux réfugiés était un argument davantage fédérateur qu'une lutte menée contre les paresseux Wallons, a fortiori dans un contexte de menace terroriste. Cantonner les migrations dans le registre rhétorique de la 'crise à gérer' est un moyen très efficace d'étouffer toute discussion quant à la réponse qu'on y donne.
Plus on va s'indigner des outrances de la N-VA, plus elle va se renforcer dans son électorat, et attirer à elle de nouveaux électeurs. Chaque sortie contre les migrants et les réfugiés représente aussi un gain de popularité. Peu importe son indignité ; le succès électoral est à ce prix.
C'est ainsi que s'installent peu à peu dans notre pays les relents d'un régime autoritaire, à coup de provocations, d'outrances et d'intimidations. Et les défenses de nos libertés, déjà mises à mal par les attentats, s'atrophient peu à peu dans une apathie confortée par de mous 'recadrages'. En 1999, le père de notre Premier ministre, Louis Michel, promettait de ne plus jamais aller passer de vacances en Autriche parce qu'un parti d'extrême-droite - le FPÖ - était entré au gouvernement. Moins de vingt ans plus tard, qui envisagerait d'annuler cet été des vacances en Toscane ou en Sicile, alors que la Ligue du Nord est la pièce centrale du nouveau gouvernement italien ?
Ce qui se joue ici n'est pas seulement un combat pour les droits migrants ; c'est aussi un combat pour la sauvegarde d'une démocratie libérale dans notre pays.
[1] Voir notamment Foa R.S et Mounk Y. 2017 "The Signs of Deconsolidation", Journal of Democracy 28 (1) : 5-16.